La nécessité du certificat d’occupation
Par Isabelle Landry, associée et avocate, BCF Avocats d’affaires
Et
Alex Migneault, directeur des locations commerciales, Location BCI
L’histoire d’une location commerciale qui a mal tourné
Voilà quelques années, nous avons reçu un appel d’un entrepreneur qui avait trouvé le local qu’il croyait idéal pour ouvrir son entreprise, un distributeur dans le domaine de la construction… Dans un secteur qu’il pensait parfait pour ce type d’entreprise.
Après avoir signé un bail à long terme, il avait investi des milliers de dollars dans les rénovations, dans l’installation d’étagère, car il était certain d’avoir trouvé l’emplacement parfait pour son projet.
Cependant, quelques semaines avant l’ouverture, il a découvert que le local n’était pas parfait pour l’activité de distribution tel qu’il l’envisageait. La règlementation municipale ne permettait pas cet usage à cet endroit, et l’entrepreneur n’avait pas vérifié le zonage avant de signer.
Résultat ? L’ouverture de son entreprise dans ce local a avortée, entrainant des pertes financières importantes et un stress considérable. Cette erreur aurait pu être évitée en vérifiant les règlements d’urbanisme et en obtenant un certificat d’occupation. Ce type de situation est malheureusement trop fréquente, et cela montre à quel point il est crucial de valider que l’usage souhaité d’un local est conforme aux règles municipales avant de s’engager.
Pour éviter de vous retrouver dans une telle impasse, il est indispensable de bien comprendre les exigences locales en matière de zonage et de vous assurer que votre activité commerciale est autorisée dans le local que vous convoitez. L’obtention d’un certificat d’occupation vous protège des mauvaises surprises et garantit que vous êtes en règle avant de commencer vos activités.
C’est pourquoi j’ai demandé à Isabelle Landry de chez BCF Avocats d’affaires son angle de vue sur ce sujet.
Vous achetez ou louez un nouvel emplacement pour les activités de votre entreprise. Ou encore vous construisez un nouveau bâtiment ou effectuez des rénovations à votre bâtiment existant. Le premier élément sur votre longue liste de choses à faire et à vérifier n’est peut-être pas la règlementation d’urbanisme applicable. Pourtant, afin de protéger votre investissement, il est très important que vous vous assuriez que vous pouvez exercer les usages projetés à l’endroit convoité. Et l’obtention d’un certificat d’occupation est une des façons de s’en assurer.
Qu’est-ce qu’un certificat d’occupation? En vertu de l’article 119 (3) de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme[1] (la « LAU »), le conseil d’une municipalité peut, par règlement, interdire l’occupation d’un immeuble nouvellement érigé ou modifié ou dont on a changé la destination ou l’usage sans l’obtention d’un certificat d’occupation. L’utilisation du mot « peut » est important puisqu’effectivement, ce ne sont pas toutes les municipalités qui ont adopté des dispositions exigeant la délivrance de ce certificat d’occupation. C’est au règlement qui s’intitule habituellement Règlement sur les permis et certificats ou encore Règlement sur l’administration des règlements d’urbanisme que la nécessité d’un tel certificat d’occupation et les circonstances dans lesquelles il est nécessaire seront retracées. En l’absence de nécessité d’un certificat d’occupation, nous vous recommandons vivement de vous assurer autrement de la conformité de vos activités afin d’éviter les mauvaises surprises, notamment en vous entourant de professionnels qui pourront vous accompagner à cet égard. Les villes qui n’exigent pas l’obtention d’un certificat d’occupation voudront rarement se mouiller en confirmant par écrit la légalité d’un usage. C’est pourquoi être bien accompagné dans vos vérifications par un professionnel connaissant les nuances de la réglementation d’urbanisme est gage de succès.
L’article 119 (3) de la LAU indique les circonstances dans lesquelles un certificat d’occupation sera habituellement nécessaire : une nouvelle construction, la modification d’une construction, le changement de destination ou d’usage d’un bâtiment.
Le but principal de ce certificat est de permettre au fonctionnaire municipal de s’assurer de la conformité aux exigences des règlements de zonage et de construction avant que l’espace ne puisse être occupé.[2]
Pour la Ville de Québec, l’article 1209 du Règlement d’harmonisation sur l’urbanisme[3] (le « Règlement d’harmonisation ») prévoit qu’un certificat d’occupation ne sera pas nécessaire lorsque les activités ont fait l’objet d’un permis de construction. C’est donc principalement au moment d’un changement d’usage de l’immeuble qu’il faudra se préoccuper de l’obtenir et non à la construction d’un nouveau bâtiment ou lors d’une rénovation. Des nuances s’appliquent toutefois pour certains types de travaux spécifiques, notamment en matière patrimoniale. L’article 1226 du Règlement d’harmonisation prévoit aussi certains usages qui ne nécessiteront pas de certificats d’occupation. Il est important de toujours bien s’informer des autorisations municipales requises aux activités que vous projetez puisque celles-ci varient d’une municipalité à l’autre et d’une réglementation d’urbanisme à l’autre.
Que signifie changer d’usage? Le local était commercial et il demeure commercial. Il n’y a donc pas de changement d’usage non? Malheureusement, ce n’est pas aussi simple. « Commercial » est une classe d’usages et non un usage. Chaque classe d’usages est formée de groupes d’usages, par exemple « C1 – Services administratifs ». Et chaque groupe d’usages est finalement constitué d’usages.[4] Par exemple, dans le groupe C1, on trouve notamment les usages « service de consultation en publicité » et « services professionnels, scientifiques ou techniques ». Le bureau abritait auparavant une boîte de publicité, mais vous souhaitez maintenant le louer pour des bureaux d’ingénieurs, oui, un certificat d’occupation sera nécessaire puisqu’il s’agit d’un changement d’usage.
Interpréter un usage n’est pas non plus toujours aussi simple qu’il puisse y paraître. Vos activités entrent-elles dans une définition de type « commerce de gros – para industriel » ou plutôt dans une classe d’usages industriels, dans le groupe d’industrie artisanale, par exemple? Cela peut faire toute la différence sur la légalité ou non du maintien de vos opérations dans les lieux.
Maintenant que vous comprenez ce qu’est un certificat d’occupation et dans quelles circonstances il est nécessaire, vous comprenez certainement qu’il est primordial d’en faire la demande avant de signer un nouveau bail ou avant d’acquérir un bâtiment. L’obtention du certificat d’occupation vous assurera que l’usage que vous désirez effectuer dans le bâtiment est permis par la réglementation d’urbanisme. Ceci dit, il est tout aussi important pour un locateur de s’assurer que son locataire obtienne ce certificat d’occupation. En effet, les baux prévoient souvent que c’est la responsabilité du locataire de s’assurer que son usage soit conforme à la réglementation d’urbanisme applicable. Toutefois, si la ville constatait un usage non conforme et forçait le locataire à cesser ses activités, un locateur pourrait se retrouver avec un locataire qui n’est plus en mesure de payer le loyer. Nous suggérons donc que le locateur demande à obtenir la preuve de la conformité de l’usage du locataire avant de consentir à signer le bail, ce qui sera de nature à protéger les deux parties. S’en assurer au tout début du processus de négociation évitera aussi aux deux parties de perdre temps et argent dans une négociation qui ne pourrait aboutir dans une situation où l’usage ne serait pas permis. Notons par ailleurs que certaines villes exigeront, à un locataire qui voudrait faire les démarches d’obtention du certificat de d’occupation , de fournir une procuration du propriétaire. La collaboration des deux parties dans ces vérifications nous semble donc primordiale.
L’ensemble de notre article n’a traité que des situations où un usage était permis de plein droit dans la réglementation et où la détermination de sa légalité ne relevait que de l’interprétation de la réglementation d’urbanisme applicable. Nous n’avons pas traité des cas où un usage pourrait être protégé par droits acquis. En effet, un usage qui débute à un moment où la réglementation le permet et qui se poursuit même après que la réglementation ait été modifiée et l’interdise dorénavant est protégé par droits acquis. Un droit acquis suit l’immeuble et non la personne qui exerçait l’usage. Si vous louez donc un nouveau local où certains usages s’exerçaient dans le passé, ceux-ci bénéficient peut-être de droits acquis qui vous permettraient de les poursuivre. Mais attention! Il faut souvent que ce soit exactement le même usage puisque la plupart des réglementations municipales ne permettent pas de remplacer un usage dérogatoire par un autre usage dérogatoire. Également, des droits acquis se perdent par non-usage dont la durée varie selon la réglementation applicable. En conséquence, si le local convoité est vacant et qu’on vous promet qu’il est protégé par droits acquis, il sera essentiel de connaître exactement l’usage qui était effectué par le précédent locataire et aussi, depuis quand cet usage a cessé. Par cet article, nous espérons avoir suscité votre vigilance. Ne louez pas ou n’achetez pas n’importe quel local sur la simple base que la grandeur et la localisation vous conviennent. Informez-vous et faites-vous accompagner adéquatement dans ces délicates et cruciales vérifications.
[1] R.L.R.Q., c. A-19.1.
[2] Art. 122 LAU.
[3] R.V.Q. 1400.
[4] Art. 10 du Règlement d’harmonisation.